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En Indonésie, la plus grande organisation islamique du monde promeut un islam modéré

Foule de femmes voilées en blanc.
Avec environ 90 millions de membres et de fidèles, Nahdlatul Ulama (NU) est le plus grande organisation islamique du monde. Pourtant, elle reste peu connue en dehors de l’Asie du Sud-Est. Adek Berry/AFP

Depuis leur retour au pouvoir en Afghanistan, les talibans imposent à nouveau leur idéologie religieuse, en mettant en place des restrictions sur les droits des femmes et d’autres mesures répressives. Ils présentent ainsi au monde l’image d’un islam intolérant et fermé aux changements sociaux.


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Pourtant, l’islam a de multiples interprétations. L’une d’entre elles est humanitaire. Axée sur le « rahmah » (concept traduit librement par amour et compassion), elle a été mise en avant par un groupe que j’ai étudié, Nahdlatul Ulama, qui signifie littéralement « Le Réveil des érudits islamiques ».

La Nahdlatul Ulama, ou NU, a été fondée en 1926, en réaction à la conquête saoudienne de La Mecque et de Médine et à la conception rigide de l’islam véhiculée par les Saoud. Elle s’inscrit dans l’islam sunnite dominant, tout en embrassant la spiritualité islamique et en acceptant les traditions culturelles de l’Indonésie.

Installée en Indonésie, le pays qui compte la plus grande population musulmane du monde, la Nahdlatul Ulama est la plus grande organisation islamique de la planète, avec environ 90 millions de membres et de fidèles, dépassant largement celle des talibans en nombre. Pourtant, ce visage de l’Islam n’a pas été suffisamment reconnu sur la scène internationale.

En 2014, la NU a répondu à la montée en puissance du groupe État islamique et de son idéologie radicale en amorçant une réforme de l’islam. Depuis, elle a approfondi cette idée qu’elle appelle « Islam humanitaire ».

L’islam humanitaire

Au cours des sept dernières années, le secrétaire général de la NU, Yahya Cholil Staquf, a organisé plusieurs réunions d’érudits de l’organisation en vu d’établir un programme réformiste. Ceux-ci ont fait des déclarations publiques sur ce que serait la réforme de la pensée islamique sur des questions controversées telles que le leadership politique, l’égalité des citoyens et les relations avec les non-musulmans.

Les déclarations de Nahdlatul Ulama comportent des prises de position cruciales, qui différencient l’« islam humanitaire » des autres interprétations.

Tout d’abord, le groupe rejette la notion de califat mondial, ou d’une direction politique qui unirait tous les musulmans. Cela alors que le concept de califat a été accepté à la fois par les grands érudits islamiques, comme ceux d’Al-Azhar (institution islamique égyptienne de renommée mondiale), et par des groupes radicaux comme les groupes État islamique et Al-Qaïda.

En outre, les déclarations de la NU soulignent la légitimité des systèmes constitutionnels et juridiques des États modernes, et rejettent donc l’idée qu’établir un État fondé sur la loi islamique est une obligation religieuse. Elles soulignent égalemeny l’importance d’une citoyenneté égale en refusant d’opérer une distinction entre les musulmans et les non-musulmans en tant que catégories juridiques. Enfin, elles appellent à une coopération plus approfondie entre les musulmans, les chrétiens et les adeptes d’autres religions afin de promouvoir la paix dans le monde.

Nahdlatul Ulama a pris des mesures pratiques pour atteindre ces objectifs. Par exemple, le groupe a établi une relation de travail avec l’Alliance évangélique mondiale, qui prétend représenter 600 millions de protestants, afin de promouvoir la solidarité et le respect interculturels.

Le secrétaire général de Nahdlatul Ulama offre un volume à Thomas Schirrmacher, le secrétaire général de l’Alliance évangélique mondiale, durant le sommet international pour la liberté religieuse, à Washington le 13 juillet 2021. Alliance évangélique mondiale

Ces déclarations peuvent sembler insuffisantes d’un point de vue occidental libéral puisqu’elles n’abordent pas certaines questions telles que les droits des personnes LGBTQ. Pour mieux comprendre l’importance de l’innovation proposée par NU et ses limites, il faut examiner le contexte indonésien.

L’islam tolérant de l’Indonésie

Rappelons que l’Indonésie est l’une des rares démocraties parmi les pays à majorité musulmane.

L’idéologie officielle de l’Indonésie, le Pancasila, c’est-à-dire « cinq principes » : ce sont la croyance en Dieu, à l’humanité juste et civilisée, à l’unité nationale, à la démocratie et à la justice sociale.

Environ 88 % de la population indonésienne, qui compte 270 millions d’habitants, est musulmane. Tant Nahdlatul Ulama que Muhammadiyah, la deuxième plus grande organisation islamique du pays, respectent le Pancasila.

Yahya Cholil Staquf, le secrétaire général de Nahdlatul Ulama et co-initiateur de la réforme de l’islam humanitaire. Bayt Ar-Rahmah

Comme NU, Muhammadiyah compte également des dizaines de millions d’adeptes, et ces deux organisations coopèrent souvent pour s’opposer à la propagande des groupes islamistes radicaux.

Robert Hefner, l’un des principaux experts de l’Indonésie, documente dans son livre de 2000 intitulé Civil Islam l’importante contribution de la NU et de la Muhammadiyah à la démocratisation du pays à la fin des années 1990. C’est au cours de ce processus que le leader de la NU, Abdurrahman Wahid, est devenu le premier président démocratiquement élu de l’Indonésie en 1999, un poste qu’il a occupé jusqu’en 2001.

Wahid, qui est décédé en 2009, a également laissé un héritage religieux. Au cours de mes conversations avec eux, des membres de haut rang de la NU ont souvent indiqué que les idées réformistes de Wahid étaient la principale source d’inspiration de l’Islam humanitaire.

La présence de l’islam intolérant en Indonésie

Les théories et pratiques islamiques en Indonésie ne sont pas toutes tolérantes à l’égard de la diversité. Par exemple, la province d’Aceh a appliqué certaines règles du droit pénal islamique, notamment la peine de bastonnade pour les personnes coupables d’avoir vendu ou consommé de l’alcool.

Un autre témoignage de l’intolérance religieuse et politique pouvant exister en Indonésie est la loi sur le blasphème qui a cours dans le pays. Celle-ci a notamment entraîné l’emprisonnement pendant 20 mois, en 2017-2018, du gouverneur chrétien chinois de la capitale (Jakarta) Basuki Purnama, pour une déclaration sur un verset du Coran.


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En janvier 2021, l’histoire d’une élève chrétienne contrainte par le directeur de son école à porter un foulard musulman est devenue virale sur Facebook. Mais le gouvernement indonésien a réagi en deux semaines, en adoptant un décret interdisant aux écoles publiques de rendre obligatoire toute tenue religieuse.

En bref, une lutte acharnée oppose les interprétations tolérantes et intolérantes de l’islam en Indonésie. Même au sein de la NU, il existe des désaccords entre les conservateurs et les réformistes.

Néanmoins, les réformistes de Nahdlatul Ulama sont en train de gagner en influence. L’actuel ministre des Affaires religieuses, Yaqut Cholil Qoumas, membre éminent de la NU et frère cadet du secrétaire général réformateur de la NU, en est un exemple. Il est l’un des trois ministres qui ont signé le décret conjoint interdisant l’imposition du foulard aux étudiants en février dernier.

Le mouvement de l’islam humanitaire porté par la NU pourrait être crucial pour promouvoir la tolérance au sein de la majorité islamique d’Indonésie. Mais peut-il avoir un effet au-delà du pays ?

Influencer le Moyen-Orient

Pour que ce mouvement de réforme puisse avoir un impact mondial, il est indispensable qu’il soit reçu et reconnu au Moyen-Orient, centre historique de l’islam. Or jusqu’ici l’islam humanitaire a été largement ignoré par les universitaires et les gouvernements des pays du Moyen-Orient, qui le considèrent généralement comme un concurrent de leurs propres tentatives d’influencer le monde musulman.

Les universités islamiques du Moyen-Orient, comme ici Al Azhar, ont tendance à ignorer le mouvement de l’islam humanitaire. Jorge Láscar/Flickr, CC BY

En tant qu’initiative non gouvernementale, l’islam humanitaire se distingue des efforts déployés par les pays du Moyen-Orient pour façonner le monde musulman, qui sont pour la plupart des projets menés par les gouvernements.

Toutefois, par son aspect réformateur, l’islam humanitaire peut séduire certains jeunes musulmans du Moyen-Orient mécontents des interprétations politiques et conservatrices de l’islam dans leur pays.

Afin d’atteindre un public moyen-oriental, le mouvement Humanitarian Islam a lancé une version en langue arabe de son site web anglais. Un premier pas nécessaire pour que cette initiative indonésienne puisse véritablement devenir un mouvement mondial de réforme islamique.

This article was originally published in English

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